Aujourd’hui nous rencontrons Geneviève Tapié, présidente de l’Assemblée des femmes et de l’Observatoire de la parité du Languedoc-Roussillon. Créé il y a 15 ans, ce réseau d’environ 200 membres actifs et de 1200 participants, au-delà même des frontières occitanes, a pour objectif d’analyser la place des femmes au sein des assemblées élues (institutions publiques, conseils d’administration etc.) et de proposer de nouvelles idées afin de faciliter et promouvoir l’accès des femmes dans toutes les sphères de la vie publique (http://placeauxfemmes.midiblogs.com/)
Quel a été le moment important dans votre parcours professionnel où votre « statut » de femme a été un atout pour vous ?
J’entends dans ce que vous dites plutôt « appartenance au genre féminin » que « statut » de femme et je peux vous répondre clairement qu’en aucun cas pour moi, cela a été un atout, pas plus qu’un handicap fondamental, même si parfois les choses sont moins faciles pour les femmes. Pourtant j’ai eu une évolution de carrière dans des milieux très diversifiés, et notamment, au Parlement européen, proche du « politique »; auprès de la haute fonction d’État; à la direction d’entreprise, gérante de SARL puis Pdg de SA; à la tête d’une exploitation agricole comme chef d’exploitation viticole… Et avec en même temps un engagement et, des convictions chevillées au corps… Mais mon tempérament me pousse plus à être « chef de guerre » que de partager un dessert avec deux cuillères avec un « accélérateur » de carrière. Alors chaque fois que j’ai bénéficié d’un « coup de pouce », c’est à une femme que je l’ai dû ; Yvette Roudy, Edith Cresson, Colette Kréder (ancienne directrice de Polytechnique féminine)… Ce qui n’empêche pas que lorsqu’il faut faire avancer des engagements collectifs, je sache où et comment me trouver des alliés, lier de solides amitiés masculines. Car encore aujourd’hui dans notre société ce sont les hommes en majorité qui décident de l’essentiel.
Quelles sont les trois principales qualités ou traits de caractère qu’une femme doit réunir pour mener à bien sa vie professionnelle ?
Je l’ai dit en plaisantant, « chef de guerre »! C’est à dire savoir se battre pour ce qui vous paraît juste, ce qui ne veut pas dire forcément « virago », mais qui dans mon esprit signifie le courage, la confiance en soi et le goût d’entreprendre. Et dans ces conditions je considère la compétence comme un acquis parce que les femmes n’ont plus besoin de faire reconnaître leurs compétences. Nul ne les conteste aujourd’hui. Et il serait criminel de les empêcher de les exercer. Chacun sait qu’en affaiblissant le potentiel féminin, on affaiblit le potentiel socio-économique de la France. Plus les femmes feront carrière, plus elles produiront de valeur ajoutée. Il n’en demeure pas moins que de sérieux blocages persistent. Malgré un arsenal juridique en béton armé, les disparités salariales entre les femmes et les hommes, égales à 25% aujourd’hui, persistent.
Quels conseils aimeriez-vous partager avec les « Elles du Groupe BPCE » ?
Je crois qu’il faut mesurer le poids des mots. Votre réseau parle de « favoriser la mixité ». Je peux comprendre parfaitement la prudence de votre langage. Mais la mixité c’est comme la composition du pâté d’alouette, et ce peut être une alouette et un cheval… ou l’inverse! Alors il faut parler de droits des femmes, d’égalité entre les femmes et les hommes, de parité, c’est-à-dire d’égale représentation dans toutes les instances de pouvoir et de décision. L’égalité des salaires est un droit des femmes gravé dans notre droit fondamental, et pourtant… L’égalité de représentation est aussi inscrite dans la Constitution et pourtant… moins d’un quart de femmes siègent au Parlement, c’est-à-dire là où en démocratie se prennent les décisions fondamentales qui changent la vie des gens. Et la mixité qui peut dédouaner un groupe d’une contrainte d’égalité au sens du « politiquement correct », c’était moins de 12 % de femmes dans les Chambres d’agriculture avant leur doublement par décret du Ministre de l’Agriculture aux élections de 2013. Mais tant qu’on reste dans les quotas, on fixe des seuils limitatifs, et si on dit 30 % de femmes, ne vous faites pas d’illusion, il y en a au final plutôt 27 que 32 !
Je serais tentée de conseiller aux Elles du Groupe BPCE, si le concept de parité n’est pas directement applicable pour l’instant, le système de « démocratie paritaire » qui fait qu’une assemblée, un conseil d’administration, un corpus, ne peut pas être composé de plus de 60 % et de moins de 40% de personnes issues de l’un ou l’autre genre. Autrement dit de femmes et d’hommes.
Auriez-vous une anecdote marquante à partager avec nous à ce sujet ?
Une gentille. Je pars du principe largement partagé que l’égale représentation des femmes et des hommes dans les ordres nationaux, la Légion d’Honneur ou l’Ordre national du Mérite fait partie du Pacte républicain. D’ailleurs, depuis 2012 toutes les nominations sont paritaires.
Mais c’était loin et très loin d’être le cas au début des années 1980.
Yvette Roudy, alors ministre des droits des femmes, pressait les préfets de lui faire des propositions… qu’ils ne faisaient pas, parce que « Madame la ministre, on n’en trouve pas »! Il faut dire qu’alors une seule femme était préfet sur 100 en 1982, citons la, Mme Yvette Chassage.
Alors Yvette Roudy, assez furax, édicte une circulaire à ses déléguées régionales dont j’étais, pour les sommer illico de faire des propositions pour des décorations de femmes dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. J’avais 30 ans et j’étais assez loin de cela.
Je bats tambour auprès des associations féminines de la région, en leur demandant à leur tour si elles ont des propositions répondant aux critères que je leur rappelle.
Un jour, une universitaire de renom, présidente d’une association de femmes diplômées des Universités me « demande audience ». Elle était très respectueuse, très protocolaire, et m’impressionnait un peu… elle avait le double de mon âge… et le féminisme pour elle devait être un gros mot !
Je la reçois. Elle s’assied en face de moi. Nous échangeons quelques banalités d’usage.
Et puis tout d’un coup elle se lance. « Madame la déléguée, vous m’avez demandé de vous proposer des femmes susceptibles de recevoir la Légion d’Honneur ». Je respire, ouf peut être vais-je trouver la perle rare qui m’assurera la paix civile avec ma ministre… Et là, elle poursuit : « Oui moi ! En me mettant un CV très élaboré sous le nez ».
Un éclair de seconde j’ai manqué d’air, j’ai été soufflée !
Mais cette femme m’a donné une immense leçon d’audace et de courage et je ne l’ai jamais oubliée.
Et bien entendu, elle a eu sa Légion d’Honneur….