Bonjour Marie. Pourriez-vous nous raconter qui vous êtes, ce que vous faites dans la vie, et ce qui vous a conduite à l’entreprise d’un site dédié aux recherches dans le monde des archives bancaires ?
Je suis née de l’imagination d’un groupe de travail, regroupant des services d’archives historiques d’établissements bancaires, placé sous l’égide de l’Association des archivistes français. Ils souhaitaient poursuivre leur collaboration suite au succès de l’exposition “Les banques dans la Grande Guerre” (2015-2016).
Je suis la narratrice du projet “des femmes qui comptent”. Que ce soit sur le blog ou les réseaux sociaux, je raconte mes découvertes et les parcours de femmes ordinaires dans l’univers de la banque.
Un peu plus sur moi ? J’ai 37 ans. Je suis originaire de Caen et je vis à Lille. Je m’y suis installée après avoir obtenu mon master traduction et interprétation. En effet, je suis traductrice (danois, norvégien, suédois, finnois).
Ma mère était professeur de Sciences économiques et sociales dans le secondaire. C’est elle qui m’a donné ce goût de la recherche et de l’analyse des “faits sociaux”. Mon père est commerçant. Petite, j’aimais l’aider à la gestion du magasin. Je l’ai également beaucoup observé avec ses clients. Je pense que mes origines m’aident à avoir une profonde empathie pour les femmes que je découvre dans les archives.
On dit de moi que je suis curieuse, mais je ne pense pas que ce soit un vilain défaut. Je pense aussi être joviale, persévérante et patiente. Je suis également une grande rêveuse !
Pourriez-vous, en deux mots, nous décrire Des femmes qui comptent, et ses ambitions ?
Ce projet illustre l’évolution des droits des femmes et plus largement l’évolution de la place des femmes dans la société à partir des archives bancaires et financières au cours du dernier siècle, du point de vue des employées et des clientes du secteur bancaire.
J’ai découvert un monde insoupçonné et une incroyable diversité de documents : photographies, lettres, notes internes, suivis de carrières, affiches, coupures de presse, vidéos… Ce sont les témoins d’expériences individuelles et ordinaires.
A partir des archives, j’essaie de porter un regard neuf sur le parcours de ces femmes à travers de nombreux thèmes : l’accès aux comptes, l’accès à la Bourse, la représentation des femmes dans la publicité, les politiques sociales à destination du personnel féminin, les conditions de travail des employées, le rôle des femmes en période de guerre, etc.
D’où est née cette envie, cette idée, d’un blog dédié aux femmes dans la banque ?
Il y a encore un an, je n’aurais jamais imaginé mener un tel projet. Pourtant, je crois qu’il est en gestation depuis un moment !
Il y a quelques mois, j’ai travaillé sur la traduction d’un ouvrage qui abordait la question de l’évolution des droits des femmes ces deux derniers siècles. J’ai alors réalisé que j’en savais davantage sur la question dans les pays scandinaves que dans mon propre pays. Depuis, cette thématique est devenue une véritable “obsession”. J’ai lu beaucoup d’articles et de livres à ce sujet. J’en parlais tout le temps, à tout le monde. Je voulais l’étudier, mais je ne savais pas comment, jusqu’à ce que je rencontre un archiviste qui m’a ouvert les portes d’un service d’archives historiques d’établissement bancaire.
La simple existence de ce type de service fut déjà une découverte : je n’imaginais pas que les entreprises pouvaient conserver des archives pour d’autres raisons que des obligations administratives. Mais après tout, quand on y pense, les entreprises sont des témoins de leur époque. Leurs archives sont un moyen de préservation et de valorisation absolument uniques ! Elles conservent une mémoire extrêmement riche et diversifiée, notamment de l’histoire sociale, avec des informations sur les métiers, l’organisation du travail, les activités syndicales, les offres commerciales, l’évolution des lois qui régulent les activités…
Ma première visite a été une véritable révélation : j’ai pu comprendre que les archives ont beaucoup à nous dire sur la représentation des femmes, leurs droits et leurs conditions, qu’elles soient employées ou clientes. Au fur et à mesure de mes recherches, des tas d’anecdotes et de parcours de femmes anonymes se dévoilaient à moi. Ces femmes ordinaires me permettaient de comprendre ce qu’est la vie d’une femme employée ou cliente d’une banque. C’était si ancien et à la fois si actuel. J’ai lu des correspondances relatives à la mixité, l’égalité salariale, la promotion des femmes, etc. Cela ne vous semble pas familier ? Je n’avais pas seulement de “vieilles pièces administratives” entre les mains, mais une véritable mine d’or.
C’est ainsi que j’ai décidé d’ouvrir mon blog, tel un journal de bord de mes découvertes.
Mes recherches m’ont ensuite permis de reconstituer des parcours de femmes inspirés de l’histoire d’employées rencontrées dans les archives. Pour les valoriser, j’ai décidé de développer une forme de narration créative et originale qui permettra à un large public de s’immerger autrement dans la vie de ces femmes : les tweets documentaires. En reconstituant ces portraits, j’invite mes followers à découvrir le destin des « femmes qui comptent » comme je l’ai fait moi-même : en plongeant dans des documents d’archives remarquables.
Au cours de votre immersion dans le monde des archives, quelle découverte vous a le plus marquée ? Pourquoi ?
Recrutement, carrière, salaires, métiers, formation professionnelle, conditions de vie au travail, les conditions d’emploi des femmes reflètent l’état de la société. Il y a vraiment beaucoup à dire sur l’évolution des droits des femmes. Mais j’étais à mille lieues d’imaginer que ce j’y trouverai résonnerait autant dans l’actualité et aurait un tel écho !
Ces derniers mois, on parle beaucoup de parité, de mixité, d’égalité hommes / femmes. On constate qu’il y a encore beaucoup à faire et je suis forcément d’accord. Mais (sans toutefois avoir un discours trop angélique), les archives m’ont permis de mettre ces actualités récentes en perspective et de constater tout le chemin parcouru ! Il n’y a qu’un peu plus de 50 ans que les femmes peuvent ouvrir un compte en banque sans autorisation de leur mari ! Elles n’ont été autorisées à entrer dans l’enceinte de la Bourse qu’en 1967 ! Quant à l’évolution des carrières, il a été longtemps inenvisageable qu’une femme puisse prétendre à des postes à responsabilités. Il y a déjà eu tant de progrès !
Un autre point m’a marqué : c’est la féminisation de ce secteur. Il y a cette idée que la banque est un milieu d’hommes. Or, ce que j’ai découvert, notamment en consultant des procès-verbaux de conseil d’administration, c’est que les banques ont souvent été en avance quant à la féminisation des postes. Les femmes ont commencé à y travailler dès les années 1890 car les banques françaises étaient parmi les plus grandes de la planète. J’ai aussi appris que la banque est un des secteurs les plus importants pour l’emploi des femmes durant la Grande Guerre. Mais aussi, à la différence de l’industrie par exemple, les femmes resteront globalement davantage dans le secteur bancaire après-guerre car elles sont nombreuses et indispensables!
Quel(s) conseil(s) pourraient donner les Femmes qui comptent aux elles du Groupe BPCE d’aujourd’hui ?
Ces dernières semaines, j’ai reçu des dizaines de messages enthousiastes et encourageants sur Twitter, pour saluer ma démarche, son utilité et sa pertinence. Tout cela est très soudain pour moi. Je ne pensais vraiment pas que tant de monde partagerait ma curiosité ! Pourtant, sans fausse modestie, je ne sais pas si je suis la mieux placée pour donner des conseils.
Si je ne pouvais en donner qu’un, il ferait écho à la précédente question. Il y a déjà eu beaucoup de chemin parcouru. A vous de jouer et de prendre le relais de ces femmes que j’ai découvert dans les archives pour continuer ce cheminement vers toujours plus d’équité !
Le projet est réalisé par le groupe de travail “des femmes qui comptent” au sein de l’Association des archivistes français, à partir de fonds d’archives de six établissements bancaires et du Centre des archives économiques et financières.
Les membres du groupe sont partis du constat que le sujet des femmes méritait un traitement à part, car il s’inscrit dans un mouvement que l’on retrouve dans la société, les organisations, les milieux scientifiques et culturels.
Le commissariat scientifique est composé des membres des services d’archives historiques ou de valorisation du patrimoine de BNP Paribas, Crédit Agricole S.A., Fédération nationale des Caisses d’épargne, Fédération nationale des Banques populaires, HSBC France, Société Générale, Ministère de l’économie et des finances, ministère de l’action et des comptes publics.